Langues et entreprises –
Avec l’allemand en poche, vous décrochez un job illicoAlors que les Alémaniques boudent de plus en plus le français, la maîtrise de l’allemand reste essentielle pour de nombreux postes en Suisse romande.
- La maîtrise de l’allemand facilite l’accès aux postes dans les grandes entreprises suisses.
- Les sociétés reçoivent trente fois moins de CV pour les postes exigeant l’allemand.
- Les multinationales privilégient l’anglais, mais l’allemand reste crucial lorsqu’une PME a des interactions avec la Suisse alémanique.
- Pour bien le parler, une immersion de six à douze mois s’avère nécessaire après la scolarité.
La professeure d’un collège privé vaudois entend souvent cette phrase lâchée par des parents d’élèves: «Sans l’allemand, je n’aurais pas le job que j’occupe aujourd’hui.» On aurait davantage imaginé l’anglais, à l’heure où la croissance économique se joue à une échelle planétaire.
Une question se pose alors. Alors que le français perd en vivacité en Suisse alémanique, s’exprimer en allemand reste-t-il nécessaire pour un Romand cherchant à faire carrière?
Cet article fait partie d’une série consacrée à l’enseignement de l’allemand en Suisse romande – et plus généralement à l’importance donnée à cette langue. En Suisse alémanique, l’apprentissage d’une deuxième langue nationale à l’école primaire est de plus en plus remis en question. De ce côté-ci de la Sarine, c’est plutôt le niveau des élèves au terme de leur scolarité qui interroge.La qualité des cours dispensés est-elle suffisante? À quel point la maîtrise de l’allemand est-elle nécessaire pour cimenter la cohésion nationale? Les progrès de l’intelligence artificielle changeront-ils la donne? Notre série, à découvrir sur tous nos supports, s’attache à explorer ces questions.Un CV avec l’allemand, s.v.p.
Si l’on parle CV, la maîtrise de l'allemand demeure clairement un atout. «On sait d’emblée que l’on va facilement trouver un poste à une personne qui le parle, et que son âge n’entre même plus en ligne de compte (ndlr: comme facteur disqualifiant)», affirme Anne Donou, directrice pour la Suisse romande de l’agence de placement Von Rundstedt.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. «Dix personnes vont envoyer un CV pour un emploi où l’allemand est demandé, contre 300 si le français et l’anglais sont uniquement exigés», observe-t-elle. La langue de Goethe ouvre ainsi de nombreuses portes.
Les domaines d’activité concernés par cet état de fait sont nombreux: comptabilité, marketing, banques, délégués médicaux dans la pharma, tourisme: «Aussi bien les firmes romandes qui vendent en Suisse allemande que les entreprises alémaniques qui écoulent des produits en Romandie ont besoin de personnel qui parle allemand», souligne Anne Donou.
Partenaires alémaniques
Ce constat est partagé par le géant Nestlé. «Parler l’allemand, respectivement le suisse allemand, est définitivement un atout chez Nestlé Suisse, et un certain nombre de postes nécessitent sa maîtrise», répond Pascal Buchser, responsable des relations avec le personnel pour la Suisse de la multinationale basée à Vevey. Il précise qu’une grande partie de leurs partenaires et collaborateurs sont alémaniques pour ce qui a trait aux usines, à la recherche et aux ventes dans le pays.
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Autoriser les cookiesPlus d'infosLes postes de commerciaux sont directement concernés. «Le représentant d’une PME ou d’une multinationale aura besoin de l’allemand pour ses rapports avec ses fournisseurs, clients et partenaires, qui ne sont pas forcément basés en Suisse romande», détaille Anne Donou.
Coop est sur la même longueur d’onde. «Pour les collaboratrices et collaborateurs de la Suisse romande, l’allemand est surtout indispensable chez nous dans les domaines où il y a un contact régulier avec la clientèle en Suisse alémanique, par exemple dans la vente, le service ou le conseil», relève Thomas Ditzler, porte-parole du grand distributeur. Qui ajoute que pour les postes de formation et de gestion, la connaissance de l'allemand constitue aussi un atout, «tout comme dans de nombreux autres domaines».
De surcroît, la qualité des jobs auxquels les employés peuvent prétendre augmente avec l’allemand en poche. «Cela permet d’accéder à de meilleures opportunités et d’obtenir de meilleures rémunérations, confirme Anne Donou. Que ce soit dans les grandes banques, les multinationales, les assurances, les sociétés de conseil ou l’industrie, dont les sièges sont souvent basés Suisse alémanique.» On parle parfois de 20% de salaire en plus.
De Bâle à Zurich en passant par Berne, la liste (non exhaustive) des entreprises est longue: Julius Baer, Zurich Insurance, SGS, Swiss Re, UBS, BNS, Novartis ou Roche, ABB, Unilever, CFF ou encore La Poste.
Berne en allemand
Les emplois dans l’Administration fédérale sont également concernés. «Ça me paraît essentiel de pouvoir comprendre la langue de l’autre à Berne», relève-t-elle.
Cela dit, l’allemand n’est pas forcément décisif partout. Un grand nombre de jobs en Suisse romande, que ce soit dans le commerce de détail, la fonction publique, le bâtiment ou de bureaux ne l’exigent pas. «La part des offres d’emploi demandant l’allemand demeure assez faible, observe la directrice de l’agence de placement. Et la langue du travail dans les grandes entreprises est de plus en plus l’anglais.»
En Suisse, les multinationales parlent anglais
Sans surprise, la place de l’anglais est prépondérante au sein des multinationales. «Pour le groupe Nestlé dans son ensemble (ndlr: usines, recherche, ventes dans le monde), l’anglais a bien entendu une place prédominante pour la communication entre nos collaborateurs», indique Pascal Buchser.
Pour autant, l’allemand compte encore pour faire carrière en Suisse. «C'est une question structurelle, le poids économique de la Suisse alémanique représente plus de 60% de la croissance du pays», rappelle Anne Donou. Et si sa maîtrise n’est pas impérative, elle augmentera à coup sûr les opportunités pour grimper dans la hiérarchie d’une entreprise.
L’IA ne va pas tout changer
La technologie ne devrait pas tout bouleverser en la matière. «L’allemand aura toujours son importance en Suisse», souligne Pascal Buchser. Selon lui, si l’intelligence artificielle et les outils de traduction instantanée offrent de magnifiques opportunités, «ils ne remplacent pas l’authenticité des relations et la sensibilité culturelle que nous pouvons entretenir avec nos partenaires, nos consommatrices et nos consommateurs».
Le meilleur moyen de maîtriser l'allemand? Il ne faut pas se contenter d’un cours une fois que l’on a un poste dans le viseur ou que l’on se retrouve au chômage. «Seul un séjour prolongé en Allemagne, une année par exemple, augmentera vos chances d’employabilité», assure Anne Donou.
Un stage d’allemand après l’école
Les parents peuvent y contribuer. «À l'école, on apprend la base, jauge-t-elle. Mais le niveau à la fin de la scolarité ne suffit pas pour décrocher un poste où l’allemand est demandé.» Avec le niveau de syntaxe et de grammaire atteint pendant la scolarité, l’experte estime qu’une immersion de six à douze mois dans un pays germanophone est nécessaire pour atteindre un très bon niveau.
Dans le monde du travail, les choses ne devraient guère changer à l’avenir. «La langue allemande continuera de jouer un rôle central pour réussir professionnellement en Suisse, en particulier en Suisse alémanique», souligne le porte-parole de Coop. Autrement dit, les professeurs d’allemand ne sont pas près de se retrouver au chômage.
«L’importance de l’allemand va diminuer avec l’IA»
Les PME créent deux tiers des emplois dans le pays et sont souvent tournées vers l’étranger pour écouler leurs produits. Alors parler allemand est-il toujours utile? Damien Aubert, directeur des ressources humaines de Felco, fabricant neuchâtelois de sécateurs haut de gamme, livre ses vues.
L’allemand aura-t-il toujours de l’importance dans dix ans pour réussir une carrière en Suisse?
Il faut admettre que cette importance va diminuer avec le développement des outils mis à disposition par l’intelligence artificielle. Selon les postes et les rôles, il est déjà possible de se débrouiller grâce à l’IA sans avoir appris la langue. Et ce phénomène va probablement s’accentuer avec les années.
En Suisse, la maîtrise de l'allemand reste-t-elle importante à l’heure de la globalisation?
Oui, apprendre une langue, c’est également apprendre le fonctionnement et la culture des populations qui parlent cette langue. Il s’agit d’un atout non négligeable sur le marché du travail et dans un pays majoritairement germanophone.
Quels sont les secteurs et les postes pour lesquels il est essentiel pour un Romand de parler allemand chez Felco?
Tous les domaines et postes en lien direct avec l’activité commerciale sur le territoire suisse. Cela représente environ 5% de nos employés.
Et à l’international?
Pour les secteurs et les postes en lien avec l’activité commerciale sur le territoire européen, c’est un atout pour la communication avec notre filiale Felco en Europe, basée en Allemagne. Mais ce n’est pas un impératif si l’anglais est maîtrisé.
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