Que se passe-t-il à Royal Canin, 1200 salariés, entreprise emblématique du Gard, restée jusqu’à ces dernières années dans le sillon tracé par son fondateur, l’idée géniale que la santé des chiens et des chats commençait dans leur gamelle ? Plus de cinquante ans plus tard, la dynamique commerciale de Royal Canin s’enraye. Signé le 31 mars 2025, un plan de sauvegarde de l’emploi prévoit la suppression de 118 postes. Dans le cinquième épisode de cette enquête fleuve, des salariés témoignent auprès de "Midi Libre".
"J’ai vécu un licenciement que j’ai perçu comme abusif. J’ai dû quitter immédiatement l’entreprise après avoir été convoquée, et mise en dispense d’activité. Deux heures plus tard, mon équipe m’attendait pour une réunion, mais elle ne m’a jamais revue et je n’ai pas eu le droit de les prévenir. La RH et mon supérieur hiérarchique m’ont donné rendez-vous quelques jours plus tard au Fast hôtel, en face du site, pour me faire signer une rupture conventionnelle, je l’ai vécu comme une humiliation", se remémore encore avec émotion une ex-responsable de l’équipe de recherche et développement de Royal Canin, qui a passé plusieurs années dans la société qui l’avait débauchée, et l’a "virée de manière très violente".
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"Parce que j’étais capable de dire non", "parce qu’il fallait trouver un poste à quelqu’un dans le cadre d’une restructuration", suppose-t-elle : "Vous ne plaisez plus, on vous dégage. Il y a des gens très bien, des passionnés chez Royal Canin. Mais ce n’est pas le cas de tous les dirigeants. On ferme sa gueule, on dit amen, et on avance. Tout ça dans une impunité totale". Elle a mis "deux ans à se reconstruire", avant de reprendre le fil de sa carrière. Elle a perdu en première instance aux Prud’hommes, son procès en appel n’a pu avoir lieu. C’était un des rares témoins à ne pas demander l’anonymat, avant de se raviser.
Des histoires comme celle-là, "il me semble qu’il y en a plein d’autres" à Royal Canin, confie la cadre. La direction évoque "une dizaine" de contentieux, anciens. La CFDT fait part d’une vingtaine de cas par an. Difficile à mesurer, dans un contexte ou de nombreux départs sont négociés, et le silence de plomb.
"Dans mon service, la moitié des personnes sont parties, beaucoup en rupture conventionnelle, quelques-unes ont démissionné, d’autres ont eu une reconnaissance d’inaptitude", témoigne Françoise (1), licenciée il y a quelques mois après un long arrêt maladie pour burn-out, et une inaptitude reconnue par la médecine du travail, "sans reconnaissance de maladie professionnelle", mais une invalidité que la CPAM "attribue à un environnement professionnel". Elle fait part de son espoir d’une autre vie : "En l’état actuel, je ne peux plus travailler dans une entreprise, il fallait trouver une solution de reconversion. En attendant, je vis au jour le jour, et je vais continuer à me soigner".
Cinq mois après un premier contact, et des relances restées sans réponse, elle se retourne difficilement sur ses longues années dans un travail qu’elle "aimait", une entreprise à laquelle elle était attachée, avec "un bon salaire" : "Je pensais faire toute ma carrière ici… Mais Royal Canin n’est plus Royal Canin. Moi, je n’ai pas été harcelée. Le système m’a cassée. J’ai été déclassée. J’ai eu un problème de charge de travail, d’équipe, de management… J’ai courbé l’échine pendant près de dix ans. Avant de m’arrêter, je dormais deux heures par nuit et je rentrais chez moi en pleurant, en me demandant chaque fois "C’est quoi, cette journée de merde ?""
"Pour mon médecin, c’est comme si j’avais fait un AVC, ou eu un choc traumatique". "Le management toxique perdure, et fait craquer les gens", accuse Françoise. L’accord qu’elle a signé avec Royal Canin "met fin à toute action" de sa part.
Les premiers mots de Jacques, qui a accepté un départ négocié après une longue carrière à Royal Canin, sont pour son ancien employeur, "une belle société qui se portait bien et qui a saboté les motivations". À la différence de nombre de ses collègues, c’est un an de "brown-out", une perte de sens d’un poste vidé de sa substance, avec des missions et des projets annulés, qui l’a chassé. "On fait comme si vous n’existez pas. Et si ça ne suffit pas, on coupe les budgets", rapporte l’ex-cadre, qui explique combien la bonne image de l’entreprise a fait du mal aux salariés : "Puisqu’on vit dans un endroit bien noté, c’est que le problème vient de nous". Lui aussi avait pris un "below", cette mauvaise évaluation qui annonce des lendemains difficiles, pas pour de mauvaises performances, "j’étais à 200 % des objectifs". Après "une engueulade".
"J’ai été très heureux chez Royal Canin, dit-il en conclusion. Mon intention n’est pas de dénigrer la société, mais de protéger les salariés qui restent".
(1) Prénom choisi pour garantir l’anonymat du témoin.Skip the extension — just come straight here.
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