« Nous savons, avec certitude, que les services algériens n’ont pas agi de leur propre chef », confie un cadre sécuritaire français. Notes confidentielles et rapports circonstanciés évoquent l’implication du président Abdelmadjid Tebboune comme un fait établi. Pour saisir l’ampleur du dossier, un retour en arrière s’impose.
En août 2021, le chef de l’État algérien jure ouvertement qu’il fera rapatrier « par tous les moyens » les exilés politiques qui « ouvrent leur bouche à l’étranger ». Parmi les cibles : Amir DZ. Installé en France, il est devenu la bête noire du régime avec ses vidéos critiques à grande audience. Il n’est pas le seul. Le journaliste Abdou Semmar, condamné à mort par contumace, a été attaqué le 15 août 2023 en région parisienne. Son assaillant s’est envolé quatre jours plus tard pour Alger. Interpellé à son retour en France en décembre 2023, il est resté évasif sur ses réelles motivations. Mais selon nos informations, son objectif était d’accéder au smartphone de Semmar pour identifier ses contacts.
À Barcelone, le 17 octobre 2024, un ancien militaire, Hichem Aboud, est enlevé par des hommes armés. Transporté de force vers le sud de l’Espagne, il est sauvé in extremis par la Guardia Civil qui patrouillait le long de Guadalquivir, près de Lebrija. Ses ravisseurs s’apprêtaient à le faire embarquer sur un yacht. Deux d’entre eux sont arrêtés. Les enquêteurs français et espagnols attribuent, là aussi, cette opération aux Algériens. Ces derniers lui en veulent pour ses liens présumés avec les services marocains. Les opposants sont harcelés partout et les services d’Alger ne sont pas connus pour leur finesse.
« Il est très impulsif », tranche un ancien ministre d’Abdelmadjid Tebboune. Une confidence qui en dit long sur le caractère imprévisible du chef de l’État algérien, dont les colères terrorisent jusqu’aux plus hauts cercles du pouvoir. « Tous ceux qui travaillent avec lui sont tétanisés par son tempérament volcanique, exacerbé depuis qu’il a arrêté l’alcool et la cigarette », précise notre interlocuteur. Le détail, à première vue trivial, est en réalité capital. En 2020, Tebboune contracte une forme sévère du Covid-19. Il est hospitalisé en Allemagne, dans un état critique. À son retour, il se voit contraint de renoncer à ses habitudes : ses doses de whisky et ses deux paquets de cigarettes.
Depuis, l’homme se laisse aller à des colères qui font trembler les murs d’El Mouradia (la présidence algérienne). « Il ne supporte pas la critique », lâche un cadre, autrefois proche de lui. Il raconte qu’un conseiller a été récemment débarqué parce que Tebboune avait appris qu’il ne partageait pas ses vues, notamment au sujet de la traque des opposants. Un diplomate tempère : « Son problème est que c’est un affectif. Il aime ou il déteste. Et quand il vous déteste, vous devenez son ennemi personnel et il cherche à vous nuire. »
Tebboune a confié, dès 2021, à son directeur de cabinet, Boualem Boualem une mission claire : obtenir coûte que coûte l’extradition d’Amir DZ
Dans les hautes sphères, nul n’ignore que de nombreuses figures de la nomenklatura, aujourd’hui derrière les barreaux, ont, à un moment ou un autre, croisé le fer avec le président. Toute opposition, même feutrée, peut se payer comptant. A minima, il empêche ses détracteurs de quitter le pays. « Des ISTN [interdictions de sortie du territoire national, NDLR] sont délivrées sans que l’on sache pourquoi », affirme notre source. Tebboune a fait manifestement une fixation sur quelques opposants, qu’ils soient blogueurs, journalistes, hommes politiques ou simples agitateurs. Et parfois, cela vire à l’obsession. Amir DZ en est l’exemple le plus frappant. Le youtubeur s’en était pris au président et à son entourage. En mars 2021, il accuse la Première dame de malversations financières et évoque les relations supposées de Khaled Tebboune, fils cadet du chef de l’État, avec un baron de la drogue. L’effet est immédiat : le président entre dans une rage noire.
Selon nos informations, Tebboune a confié, dès 2021, à son directeur de cabinet, Boualem Boualem, homme de confiance du clan présidentiel, une mission claire : obtenir coûte que coûte l’extradition d’Amir DZ. Sous Bouteflika déjà, entre 2013 et 2019, sept demandes avaient été envoyées à Paris. Toutes restées sans suite. Les chefs d’accusation ? Diffamation, atteinte à l’unité nationale ou encore escroquerie. Mais jamais, précisent des sources judiciaires, « les éléments fournis par Alger ne permettaient de justifier une procédure d’extradition ». Un magistrat va plus loin : « Certaines demandes étaient grossièrement truquées. Il y avait des faux. C’était une tentative de manipulation de la justice française. Indigne d’un État. »
Fin avril 2021, Alger passe à la vitesse supérieure pour essayer de récupérer Amir DZ : deux nouvelles demandes d’extradition sont adressées à Paris. Cette fois, sur la base d’un chef d’accusation bien plus lourd : « Financement du terrorisme. » Là encore, aucune preuve n’est apportée. Pour contourner ces refus, Alger décide d’activer ses services.
« C’est le général Sadek qui a tout coordonné dans l’affaire Amir DZ », affirme sans détour un cadre bien placé au sein des services spécialisés. Le nom revient aussi dans une « note confidentielle » que nous avons pu consulter. Elle souligne le rôle trouble joué par celui qui était chef du « bureau de sécurité et de liaison » au sein de l’ambassade. Accusation corroborée par nos sources de l’autre côté de la Méditerranée. Derrière le pseudonyme de Sadek se cache le général Rochdi Fethi Moussaoui, patron de la toute-puissante DGDSE, la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure, qui contrôle les agents algériens envoyés à l’étranger. Il était en poste à Paris, entre 2022 et octobre 2024, et c’est lui qui supervise toujours les barbouzeries perpétrées en France.
Ambitieux et réputé pour son goût du luxe, Rochdi Fethi Moussaoui n’était encore, en 2020, qu’un colonel de 48 ans, lorsque la maladie du président l’a propulsé dans les premiers cercles du pouvoir. Selon un récit largement diffusé dans les couloirs d’El Mouradia, lorsque le président est hospitalisé en Allemagne, Sadek est en poste à Berlin. Il aurait choisi de rester au chevet de Tebboune plutôt que de rentrer en Algérie pour enterrer sa propre mère, décédée à cette période. « En vérité, nuance un cadre algérien, c’est son supérieur qui lui a intimé de rester près du chef de l’État. » Peu importe : la légende était née. Soutenu par Mohamed Tebboune, fils aîné du président, avec lequel il a tissé une amitié intéressée, il est promu à Paris, puis, dans la foulée, propulsé à la tête de la DGDSE. En moins de quatre ans, le petit officier, chargé autrefois des enquêtes d’habilitation au sein de la DGSI algérienne, devient l’un des responsables les plus puissants du pays. Il est un homme de confiance du président, mais aussi le bras armé de ce qui est appelé à Alger la « secte présidentielle » pour évoquer la « clique qui entoure le président, ceux qui détiennent le pouvoir réel », précise l’une de nos sources. C’est cette proximité qui aurait amené Tebboune à se reposer sur lui pour traquer et punir ses détracteurs.
Mais le colonel Sadek n’agit pas seul. Deux autres noms reviennent aussi bien en France qu’en Espagne : celui du général-major M’henna Djebbar, ancien chef de la DGDSE, et son collaborateur direct, le colonel Souahi Zerguine, alias Mouad, désigné par les services spécialisés en France comme « le coordinateur des opérations clandestines à l’étranger ». Ce dernier était en lien étroit avec Boualem Boualem, directeur de cabinet et homme fort de la présidence. C’est lui qui donne les directives présidentielles. Il s’agit, selon les cas, de « surveiller, corrompre, intimider ou neutraliser » les activistes, selon des sources algériennes bien placées.
Plusieurs documents que nous avons pu consulter permettent de restituer les ramifications qui mènent jusqu’aux allées du pouvoir algérien. Au moins quatre sujets ont orienté les enquêteurs français vers une conviction implacable : l’affaire Amir DZ n’est pas l’œuvre de délinquants isolés. Elle a été pensée, planifiée depuis Alger, avec le concours direct d’officiers agissant sous couverture diplomatique. Leurs objectifs : l’emmener à Alicante et, de là, le faire embarquer sur un yacht pour le faire disparaître. D’après nos informations, un sort similaire devait être réservé à Hichem Aboud.
Primo, la téléphonie de « l’agent consulaire ». L’appareil de celui qui est en réalité l’adjudant SR de la DGDSE a parlé. Il a été localisé, la nuit du 29 avril 2024, à proximité du lieu de l’enlèvement d’Amir DZ. Le lendemain, à l’aube, il borne à proximité de la planque où le youtubeur est séquestré. De plus, il apparaît que l’adjudant SR échangeait avec deux des individus impliqués dans l’enlèvement, y compris le jour des faits. Eux aussi sont incarcérés. Mieux, le sous-officier a transmis, après le rapt, des rapports et des photos de l’opération via une messagerie cryptée pour informer ses supérieurs de l’évolution de la barbouzerie. Trois destinataires : deux « diplomates » en poste à Paris, et un troisième numéro, enregistré en Algérie.
L’un des deux diplomates est en réalité premier secrétaire à l’ambassade. C’était la couverture du commandant SS, officier des services de renseignement algérien. Son téléphone a, lui aussi, borné à proximité du domicile de la victime. L’autre occupait le poste de consul adjoint à Créteil. Là aussi, il s’agit d’une couverture pour le lieutenant-colonel HB. Quant au troisième destinataire, selon les recoupements des services spécialisés, il pourrait s’agir du fameux Mouad, l’homme de confiance du général-major M’henna Djebbar, cité dans plusieurs « coups tordus » aussi bien en France qu’en Espagne. Nos sources confirment que le commandant SS se rendait fréquemment, avant l’enlèvement d’Amir DZ, au consulat de Créteil pour des réunions régulières avec l’adjudant et le consul adjoint.
Une somme de 50 000 euros aurait été mobilisée pour rémunérer les exécutants de l’enlèvement
Secundo, les enquêteurs ont trouvé un traqueur dans la voiture de l’influenceur algérien, brûlée par les ravisseurs. Bien que la voiture fût calcinée, les services techniques ont pu remonter, grâce à une analyse complexe des métadonnées, jusqu’à une adresse IP qui, comme par hasard, les a conduits au 50, rue de Lisbonne, dans le 8e arrondissement parisien, qui n’est autre que l’adresse… de l’ambassade d’Algérie. Ce traqueur avait été activé quatre semaines avant le rapt. Les officiers algériens pouvaient suivre ses allers et venues. Les deux qui pouvaient accéder à ces informations à partir de l’ambassade sont le fameux premier secrétaire SS et son supérieur direct, qui n’est autre que l’actuel patron de la DGDSE, le général Sadek.
Tertio, d’après les éléments collectés par les enquêteurs, une somme de 50 000 euros aurait été mobilisée pour rémunérer les exécutants de l’enlèvement. Ce sont des versements effectués en espèces par l’adjudant SR et qui figurent dans des échanges de messages. Les services français pensent que ce sont des fonds dédiés aux opérations clandestines qui ne pouvaient provenir que de la caisse noire que gère, là aussi, le même Sadek.
Quarto, la fuite précipitée des protagonistes. En effet, quelques semaines après l’échec de cette opération, le premier secrétaire de l’ambassade, le commandant SS, quitte Paris sur la pointe des pieds. L’enquête a fini par révéler qu’il a filé à l’anglaise, en juillet 2024. De son côté, le lieutenant-colonel HB a fui également début décembre 2024. Il s’exfiltre par l’Italie. Après être parti en Algérie, l’adjudant SR a quant à lui été cueilli, le 8 avril 2025, dès son retour en France. Aujourd’hui, tout semble l’accabler.
De plus, les déplacements des uns et des autres sont intéressants à analyser. Par exemple, dès la libération d’Amir DZ, le 1er mai 2024, l’ensemble du staff sécuritaire qui a participé de près ou de loin à cette opération, à commencer par l’actuel général Sadek, a été rappelé à Alger. Visiblement pour des débriefings. L’agresseur, pourtant franco-algérien, d’Abdou Semmar, est retourné en Algérie quatre jours après les faits. Les hommes de la DGDSE à Paris ont bougé en direction d’Alger au lendemain de chaque nouvel événement. Nos sources en Espagne nous indiquent que les responsables des Bureaux de sécurité de Madrid, Alicante et Barcelone ont agi de la même manière au lendemain de l’affaire d’Hichem Aboud.
Depuis, le général-major M’henna Djebbar et le colonel Souahi Zerguine, le fameux Mouad, ont été démis de leurs fonctions. Des sources algériennes nous indiquent que ce serait aussi en raison de l’affairisme de l’ancien patron de la DGDSE et elles soulignent les désaccords avec le général Rochdi Fethi Moussaoui, le protégé du président, non pas sur le fond, mais sur les choix des opérations clandestines.
D’autres raisons ont amené Tebboune à se séparer de l’ancien patron du renseignement extérieur. Il le soupçonne d’avoir voulu saboter les élections présidentielles organisées en septembre 2024. Quoi qu’il en soit, c’est le fameux général Sadek qui lui a succédé. Un fait inédit : dès son installation, il fera savoir qu’il continuera de « s’occuper de Paris ». Il nommera, avec l’accord de la présidence, un de ses amis comme intérimaire. Mohamed Wassim Abloul, qui se fait appeler « Abdelghani ». Cet officier quadragénaire est issu de la DGSI algérienne. Elle joue le rôle de police politique. Jusque-là, il s’occupait des « affaires réservées ». Par « affaires réservées », il faut comprendre opérations clandestines, surveillance, neutralisation de l’opposition et infiltration à l’étranger de mouvements diasporiques. Un cadre sécuritaire français estime que « la nomination d’un spécialiste de la traque des opposants obéit à une double logique : sanctuariser le dossier Amir DZ et permettre à Sadek de garder le cap ». Même s’il a été confirmé à son poste en avril dernier, celui qui est désormais le successeur du général Sadek à Paris ne s’est toujours pas présenté, comme le veulent les usages, aux services de la DGSI. Toujours ce dédain à l’égard de la France. Sollicité par différents biais, les représentants d’Alger ont refusé de nous répondre.
Selon nos informations, Emmanuel Macron a demandé des notes et rapports pour se faire une idée précise de la situation avec l’Algérie et imaginer la ligne de conduite qui devra être la sienne jusqu’à la fin de son mandat. Ainsi, il a reçu plusieurs écrits circonstanciés rédigés par sa cellule diplomatique et par la direction Afrique du Nord, Moyen-Orient du Quai d’Orsay. Stéphane Romatet, l’ambassadeur de France en Algérie, rappelé pour l’heure à Paris, lui a adressé de son côté une note diplomatique, tout comme l’ancien ambassadeur François Gouyette. Cela étant dit, les rapports les plus circonstanciés et, nous dit-on, les plus sévères, sont l’œuvre des services spécialisés qui, de manière méthodique, ont documenté les nombreuses manœuvres brutales et ingérences des services algériens dans l’Hexagone, mais aussi des actions hostiles menées contre des intérêts français en Algérie, y compris en Afrique. Après avoir pris connaissance de tous ces éléments, le président de la République a décidé de réunir un Conseil de défense dédié à l’Algérie. Une première réunion a déjà eu lieu. Une autre est prévue durant les jours à venir.
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