Son tracteur ronronne à l’entrée du champ labouré d’1,4 hectare, au lieu-dit Lezireur, à la lisière de Carantec et Henvic (29). Si Yann Bohic se levait sur le marchepied de sa cabine, il apercevrait, au loin, la baie de Morlaix et les contours du château du Taureau.
C’est son GPS, qui lui permet de tracer des sillons parfaitement droits, qu’il fixe. Il se retourne et crie au dessus du bruit du moteur : « Vous êtes OK ? On y va ? ». Cinq jeunes gens acquiescent de la tête. Quatre sont installés sur les sièges de la planteuse mini-mottes en remorque. Un cinquième se tient prêt à marcher derrière les sillons. Pas de temps à perdre, Yann Bohic a un rendez-vous à 18 h et il faut que 2 400 plants de choux-fleurs soient enfoncés en terre d’ici là.
« Tu me fais ton équipe »
Dylan et Titouan ont 16 ans. Morgan vient d’avoir 17 ans. Arthur, qui est le fils de Yann Bohic, a 15 ans. Hannako est l’aînée du groupe : elle a 19 ans. Ils se connaissent bien. Titouan, Arthur, et Morgan sont au lycée Notre-Dame-du-Kreisker, à Saint-Pol-de-Léon. Dylan et Hannako sont les enfants d’une salariée de l’exploitation de Yann Bohic. Ils étaient demandeurs pour travailler en juillet-août. Ils l’ont fait savoir à Arthur qui s’en est ouvert à son père. « Tu me fais ton équipe », lui a répondu ce dernier.
C’est vrai que ce n’est pas facile mais l’ambiance est bonne et on paie correctement. Aller à l’usine, ce n’est pas plus facile.
Yann Bohic, qui a repris l’exploitation en bio de ses parents en 2008, a toujours fait appel à des adolescents pour la saison estivale. « Les premiers jeunes qui ont travaillé avec moi ont aujourd’hui 35 ans ! », calcule-t-il. Il est passé par là et juge ça « naturel et important. Ça leur permet d’avoir un premier boulot à 15, 16 ans ». Il se souvient que ça l’avait « énervé de lire qu’on ne trouvait plus personne pour travailler dans l’agriculture, parce que c’était trop dur. C’est vrai que ce n’est pas facile mais l’ambiance est bonne et on paie correctement. Aller à l’usine, ce n’est pas plus facile ».
Payés au Smic
Pour embaucher ces cinq jeunes saisonniers agricoles, Yann Bohic a sollicité et obtenu sans encombres l’autorisation de leurs parents. Les cinq ados vont travailler entre 20 et 30 heures par semaine. « Ce n’est pas forcément des volumes horaires importants et c’est sporadique. Mais quand il faut planter, ils sont là », poursuit Yann Bohic, qui précise qu’ils toucheront l’intégralité du Smic, et non pas à 80 % (pour les moins de 17 ans) ou à 90 % (pour les jeunes de 17 à 18 ans). « Pour moi, c’est normal, étant donné qu’ils font le boulot de quelqu’un que j’aurais embauché au Smic. »
« Ils voient que je suis content d’eux »
En jetant un regard derrière lui, Yann Bohic sourit : « Des fois, c’est vrai, j’ai eu des mous. Mais là, j’ai une bonne équipe ». L’agriculteur revient dans le bout du champ et leur fait charger une nouvelle palette de plants de choux-fleurs. C’est fait en un tour de main, entrecoupé d’une bagarre de mottes de terre. Yann Bohic fait semblant de soupirer : « Le soir, j’ai la tête farcie à force de les entendre déconner… Ils sont sympas, motivés. Ils voient que je suis content d’eux, ils aiment bien travailler physiquement et à cet âge-là, tu gagnes entre 400 et 500 euros par semaine, tu es le roi du monde ! ».
« Je dors bien ! »
En écho à ces propos, Morgan se livre un peu : « Pour la génération d’avant, pouvoir travailler dans les champs ou être ouvrier, c’était montrer qu’on était dur au mal. Ce n’est plus le cas », estime-t-il. Lui met de l’argent de côté « pour financer un voyage aux Philippines, quand je serai majeur ». Hannako, qui poursuit des études de biologie à Rennes, entame son quatrième été à bosser dans les champs. « Ça occupe l’été et je dors bien ! » Son frère, Dylan, suit son exemple, « sinon, je n’ai pas d’argent pour la rentrée ».
« Ça forge pour plus tard »
Titouan entame son deuxième été de travail. « Mes parents connaissaient Yann. Ils m’ont dit : « Tu as le droit de travailler si c’est ce que tu veux ». Franchement, c’est bien ! Je suis dans la nature, je prends l’air et ça évite de rester sur les écrans. En plus, je suis payé. » Une partie de son pécule lui servira à acquérir du matériel de wing foil neuf, « pour m’améliorer ».
Arthur, le fils de Yann, lui, bosse depuis ses 12 ans : « C’est une fierté de pouvoir se payer soi-même certaines choses. Avoir la notion de l’argent, savoir ce que ça fait de dépenser, ça forge pour plus tard ». Lui non plus n’a pas un regard pour la baie de Morlaix, au loin.