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AboColère dans les champs –
Un an après leur révolte, les paysans ont toujours le bluesMalgré leur grogne et les panneaux retournés dans les villages, la situation n’a pas beaucoup évolué pour les agriculteurs actifs au sein du mouvement. Témoignages dans trois fermes du canton.
Maxime Schwarb
Publié aujourd’hui à 05h00- Malgré les mobilisations et les revendications du mouvement de la Révolte agricole lancé il y a une année par Arnaud Rochat depuis Bavois, peu de mesures concrètes ont été mises en place pour améliorer la situation de la profession.
- Les agriculteurs dénoncent notamment une rétribution très basse – environ 17 francs de l’heure – et des charges administratives croissantes qui compliquent leur quotidien.
- Malgré une sensibilisation qui a suscité la sympathie, beaucoup de consommateurs continuent de dépenser dans des loisirs ou des biens non essentiels avant l’alimentation, rendant la situation encore plus difficile pour les paysans.
«Notre fin sera votre faim». Il y a un an, cette phrase fleurissait sur le bord des routes de nos campagnes à l’appel de la Révolte agricole, mouvement spontané lancé par Arnaud Rochat, de Bavois, sur une page Facebook qui a fait beaucoup de chemin depuis.
C’est que la colère grondait dans le monde paysan. Mais contrairement à certains de leurs voisins européens, les agriculteurs suisses ont préféré les actes symboliques aux déprédations. Pour quel résultat? «Concrètement, il n’y a pas eu de changement», lance Morin Rochat, agriculteur à Mauraz, au pied du Jura.
Il n’y a effectivement pas grand-chose à se mettre sous la dent en dehors de trois points notables: l’abandon des 3,5% de compensations écologiques dans les terres cultivables – actuellement les paysans sont obligés de consacrer 7% de la surface totale de leur domaine à la biodiversité –, le report de la mise en place du système Digiflux dans lequel il était prévu d’inscrire tous les produits utilisés dans une exploitation, et le maintien du budget agricole 2025, initialement présenté à la baisse.
Pour l’éleveur bio, c’est tout le système qui doit être remis à plat. En premier lieu celui des paiements directs. «À cause de cette façon de faire, on est devenu des chasseurs de primes. Les paiements directs représentent parfois plus de 50% du chiffre d’affaires. Sans eux, on ne vit plus.» Un avis partagé par son confrère broyard Sébastien Oulevey. «C’est un cadeau empoisonné. Beaucoup de domaines vivent ou survivent grâce à eux alors qu’on devrait vivre de nos productions.»
Mesures concrètes
Au moment de lui demander ce qu’il souhaite concrètement comme mesures, Morin Rochat évoque d’abord la revalorisation de la rémunération. Car aujourd’hui, en moyenne, un paysan est rémunéré 17 francs de l’heure. «Je suis à 6 h dans ma ferme et je ne rentre pas avant 18 h 30. Alors bien sûr, je déjeune tous les matins et mange chaque midi avec mes enfants. Mais les week-ends, c’est aussi près de dix heures de travail. Une rémunération aussi basse n’est pas convenable.»
«À l’époque, mon père faisait vivre deux familles avec un domaine de 25 hectares et 25 vaches laitières en production de fromage. Aujourd’hui, avec 35 hectares, je bosse encore à 40% à côté et je fais vivre ma famille», appuie Sébastien Oulevey.
L’autre mesure à mettre en place concerne la charge administrative qui pèse toujours plus lourd. «On doit de plus en plus faire le boulot d’autres personnes sur notre temps de travail.» Morin Rochat raconte par exemple la complexité de commander des semis et le nombre de formulaires à remplir, tous plus contradictoires les uns que les autres.
À Giez, dans le Jura-Nord vaudois, son collègue Steve Montandon abonde dans le même sens. «Pour ma génération qui est biberonnée au digital, quand on découvre le portail numérique de la Confédération, c’est la douche froide. Ce n’est pas du tout intuitif», décrit l’agriculteur de 28 ans.
Consommateurs dans le viseur
Bien qu’il sente un soutien moral de la population (ndlr: même si peu de gens sont au fait des fourches de la colère qui a suivi la «révolte»), Morin Rochat aimerait davantage que cela se traduise par des actes concrets en matière de consommation. «L’autre jour, je suis allé faire les commissions dans une grande surface. J’ai cru que j’allais pleurer. À l’entrée du magasin, il y avait des palettes de fraises sur lesquelles les gens se jetaient. Elles n’étaient évidemment pas suisses.»
Un autre élément sur lequel il insiste est l’importance même de l’alimentation. Aujourd’hui, la part de cette dernière dans le budget des ménages suisses représente 6,4%, contre près de 50% au début du XXe siècle, selon l’Office fédéral de la santé. «Beaucoup de personnes privilégient les vacances, la salle de sport, Netflix, un téléphone neuf, et puis ce n’est qu’après ça qu’ils s’achètent à manger, déplore Morin Rochat. On ne peut pas constamment casser du sucre sur le dos de l’agriculteur, en disant que notre production coûte trop cher, alors que les gens décident de dépenser leur argent ailleurs.»
Même s’il est d’accord sur le fond, Steve Montandon voit aussi le contexte économique difficile que subit la population. «Bien sûr que les consommateurs peuvent en faire plus, mais depuis une année, je sens plutôt un rapprochement. Ils sont davantage sensibles à nos revendications. Et il ne faut pas oublier le renchérissement des primes d’assurance maladie, des loyers… ça pèse sur le budget des ménages.»
Un pré fleuri d’inquiétudes
Avec tout ça, difficile de rester optimiste. D’autant que les agriculteurs suisses ont vu leur chance d’être davantage défendu au Conseil fédéral douché par l’élection de Martin Pfister à la place du président de l’Union suisse des paysans, Markus Ritter. «Pour moi, il ne faut pas tout mélanger. Selon moi, Martin Pfister a été élu parce qu’il a une expérience du monde militaire et non pour embêter le monde agricole», rétorque Steve Montandon, également membre du Centre.
La vision de ces trois agriculteurs emblématiques de leur génération peut paraître sombre, mais une fois le stylo rangé, chacun admet que pour eux le bonheur est toujours dans le pré, même s’il est fleuri d’inquiétudes. «C’est un métier qu’on aime tellement, il nous prend aux tripes. Mais selon moi, le monde agricole ne va pas dans le bon sens et il y va d’un bon pas», conclut Morin Rochat.
«Défendre la cause agricole est un marathon, pas un sprint!»
Actuel directeur d’Agora, l’organisation faîtière de l’agriculture romande, et en partance pour l’Union suisse des paysans, Loïc Bardet est au cœur des discussions et de leur complexité sur le plan national. «Je comprends la frustration de la base, car les avancées sont minces. Mais nous avons obtenu la suppression des 3,5% de biodiversité dans les terres cultivables et je pense que nous la devons au mouvement et à son impact médiatique. C’est la preuve qu’il faut se battre, même si la défense des revendications agricoles relève du marathon et pas du sprint!»
Celui qui est aussi député PLR estime que tout n’a pas été vain. «La révolte agricole a eu pour effet de soutenir les démarches de la branche au niveau politique, et on a l’impression qu’il y a depuis lors une écoute plus attentive et des échanges qui se passent mieux avec l’Office fédéral de l’agriculture.»
Les discussions, c’est bien, mais pour quels effets sur le terrain? «Ils se mesureront sur le moyen terme, et c’est ce qui est difficile à admettre pour ceux qui se lèvent chaque jour aux aurores et attendent des avancées plus concrètes et rapides. Mais nous continuons à nous battre pour obtenir des meilleurs prix, et ne pas lâcher sur un point où tout le monde se rejoint: la simplification administrative. Rien que pour les paiements directs, le document fait 100 pages: ce n’est pas possible.»
Loïc Bardet appelle aussi à une meilleure représentation des producteurs autour de la table des négociations des prix avec les distributeurs, par regroupement ou si nécessaire par des renforcements législatifs tout de même improbables. «Le 80% du chiffre d’affaires agricole vient de la vente de nos produits, et c’est bien sur ce point qu’il faut agir et trouver des solutions, notamment via la stratégie 2030 de la politique agricole sur laquelle nous fondons de solides espoirs. D’autant plus que de nombreux jeunes aspirent à nouveau à ce métier, ce qu’on vérifie par la hausse du nombre d’apprentis, et que leur avenir aussi bien que celui de la profession est en jeu.» CJO
Autour de la révolte agricole en SuisseNewsletter«Dernières nouvelles»Vous voulez rester au top de l’info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte e-mail. Pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde.Autres newslettersSe connecterVous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
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