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AboGenève dans le noir, Vaud dans le rouge –
«Les mesures d’assainissement ne seront pas si traumatisantes»Alors que Genève a le sourire, Vaud doit redresser ses finances. Explications de Nils Soguel, professeur de finances publiques.
- Les finances vaudoises affichent un déficit, tandis que Genève présente un excédent considérable.
- La croissance des dépenses vaudoises a été «beaucoup trop rapide» en 2023 et 2024, selon le professeur Nils Soguel.
- Le dynamisme économique genevois est fortement stimulé par les crises géopolitiques actuelles.
Comment expliquer que les comptes 2024 des deux cantons lémaniques présentent de telles différences? Charges, revenus, austérité, dette… Nils Soguel, spécialiste en finances publiques à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) de l’Université de Lausanne, met en lumière les deux situations.
L’État de Vaud est dans le rouge. Le Conseil d’État déclenche immédiatement son frein aux dépenses. Genève, au contraire, présente un excédent de plus d’un demi-milliard. Diriez-vous que les finances genevoises sont pilotées avec plus de prudence que les finances vaudoises?
Ce n’est pas une question de prudence. Tous les cantons qui ont publié leurs comptes ont des excédents de revenus. Vaud fait exception avec un excédent de charges important. Environ 3% des charges ne sont pas couvertes par des revenus.
Comment expliquer la dégradation de la situation vaudoise? Est-ce que c’est conjoncturel ou structurel?
Ce n’est pas un problème de revenus. La croissance des charges de fonctionnement a été beaucoup trop rapide en 2023 et 2024: elle a dépassé 3% en 2023 et 6% en 2024. Le développement des dépenses n’est plus maîtrisé.
Pourquoi n’est-il plus maîtrisé?
Depuis les années 90, Vaud a traversé plusieurs périodes: une crise majeure, une période de maîtrise des dépenses et, finalement, un développement des prestations publiques et des investissements. Mais cet effort de développement a été probablement trop conséquent, ces dernières années. Trois chiffres permettent de le comprendre. Entre 2000 et 2023, la population augmente d’un tiers, mais les dépenses de l’État doublent et les dépenses sociales triplent.
À Genève, les revenus explosent depuis 2021, tirés par le commerce international. Ça explique ses excédents et la diminution de la dette. Vaud n’en a-t-il pas profité aussi?
Si, et c’est faux de croire que le dynamisme des revenus n’existe pas aussi pour Vaud, même s’il n’est pas aussi important qu’à Genève.
Peut-on parler d’un miracle genevois, manifestement conjoncturel? Va-t-il durer?
L’avenir le dira, mais on peut à tout le moins observer que le dynamisme genevois est boosté par les crises géopolitiques. Quand ces crises seront résolues, les bénéfices des entreprises de négoce vont probablement se réduire. Les recettes conjoncturelles ne devraient pas être utilisées pour déséquilibrer structurellement un budget, par exemple en baissant la fiscalité.
Genève a baissé ses impôts récemment, une décision du peuple.
C’est le problème quand on a un excédent de revenus: difficile de savoir si c’est lié à une conjoncture qui «boome» ou à un excédent de revenus de type structurel. Proposer de réduire la fiscalité est une stratégie récurrente et éprouvée des milieux de droite. Ils visent ainsi indirectement à réduire l’intervention de l’État et sa taille.
Si vous étiez à la place de la ministre genevoise des Finances, Nathalie Fontanet, vous feriez quoi?
L’avenir est incertain. C’est une de ses principales caractéristiques. Et il est devenu beaucoup plus incertain aujourd’hui qu’il ne l’était encore il y a quelques années. Genève, encore plus que le reste de la Suisse, est branché sur l’international. Il subit donc de plein fouet les vicissitudes du contexte international, dans le bon sens comme dans le mauvais. Le principe de prudence imposerait qu’on laisse moins filer les dépenses. Le conseil à donner du côté de Genève serait de ne pas se laisser aveugler par les excédents de revenus.
Dans le Canton de Vaud, les mesures d’assainissement suffiront-elles? Sinon, va-t-on s’installer dans un cycle de plusieurs années difficiles de réduction des dépenses?
Les mesures que les autorités vaudoises vont proposer seront nécessaires. Elles ne vont pas être si traumatisantes que ça, parce que le déficit qu’on nous annonce pour 2024, 370 millions, ne représente que 3% des 11 milliards de surface financière de l’État. C’est beaucoup, mais c’est peu à la fois. On pense instantanément à la nécessité de procéder à des coupes et à des sacrifices. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Mais une reprise en main du rythme de croissance des dépenses est indispensable.
Mais comment maîtriser les dépenses vaudoises?
Cela pourra se faire de manière relativement indolore si, par exemple, le Conseil d’État demande aux différents départements de limiter le rythme de croissance de leur demande budgétaire pour 2026, par exemple uniquement à 1% par rapport au budget 2025. Au-delà, cela nécessiterait des choix politiques, des priorités et des renoncements… à faire accepter par le Législatif.
La dette nette genevoise avoisine 10 milliards, alors que la dette vaudoise affichée est 20 fois moins importante, à hauteur de 500 millions…
Pour Genève, c’est 15 milliards, selon les indicateurs de la Conférence des directeurs cantonaux des finances. La dette vaudoise n’existe plus vraiment. Le Canton de Vaud détient au bas mot 2,5 milliards de fortune nette, selon le bilan présenté pour 2023.
Alors, dans ces conditions, est-ce que le Canton de Vaud peut encore se donner du temps pour arriver à l’équilibre?
Oui. C’est pourquoi, dans un premier temps, il faut arriver au petit équilibre rapidement. Dans un deuxième temps, il faut atteindre l’équilibre intégral, c’est-à-dire arrêter complètement de faire des déficits et financer également l’usure et l’obsolescence de l’infrastructure. L’école vaudoise ne se donne pas en plein air avec uniquement des enseignants, elle utilise une infrastructure comme le reste de l’administration. L’intégralité des coûts doit donc être couverte.
La présentation des comptes de l’État de Vaud est-elle transparente?
Les gouvernements vaudois précédents ont largement eu recours à de la cosmétique comptable pour minimiser les réels excédents de revenus. En tout bien, tout honneur: la législation vaudoise autorise par exemple la comptabilisation de charges fictives comme des amortissements supplémentaires ou des préfinancements. Aujourd’hui, le gouvernement communique le résultat opérationnel, qui est le vrai résultat à regarder, c’est-à-dire avant d’éventuelles écritures de bouclement. Cette transparence est salutaire parce qu’il faut dire la vérité au pouvoir, et le pouvoir appartient aux citoyens.
Une acceptation de l’initiative pour une baisse des impôts de 12% va-t-elle forcer le Conseil d’État vaudois à se lancer dans une politique d’austérité plus dure encore?
Selon différentes sources, cette initiative coûterait entre 300 et 500 millions. C’est donc arithmétique et évident: les mesures de meilleure maîtrise des dépenses, voire d’austérité, seraient plus exigeantes, car ce manque à gagner viendrait s’ajouter au déficit qu’il s’agit de combler. L’effort d’assainissement grimperait ainsi à plus d’un demi-milliard de francs, soit plus de 5% du budget. Tel Sisyphe, cela impliquerait de s’attaquer à un excédent de charges aussi abyssal que celui qu’a connu l’État de Vaud au tournant du siècle dernier.
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